Ecrivains & Critiques

Mariko, par Marc Albert

Les tableaux de Mariko ASSAI :

C’est la ville sortant des brumes,
les branches et le givre rutilant
sous le soleil ou la lune.

Les algues du bord de l’eau
dansant de loin avec les roseaux de la dune.

Des idéogrammes chinois devenant
minarets, dômes et coupoles.

Les oiseaux, tout près des cerises
et les feuilles, rondes et vertes
sur la portée brune des branches.

Les hanches fortes d’un violoncelle
s’adossant aux fer-forgeries du balcon.

La comète et sa traîné rose

Et tout le temps qu’on veut pour faire un vœu.

C’est le village encore, mais dans les rousseurs de l’automne.

Le chemin bordé d’arbres qui y mène
est suspendu entre ciel et terre,
entre ombre et lumière, entre rêve et réalité.

Un tableau de Mariko,

C’est la joliesse sans mièvrerie, l’orient sans pacotille,

La douceur sans niaiserie, l’allusion et la suggestion.

Jamais la nature morte.

Le fruit aime son compotier, le citron flirte avec la nappe.

Les glycines jubilent dans leur pot de cristal.

De chaque théière qu’elle peint, on s’attend à voir surgir
le génie d’Aladin.

La lune sort en plein midi,
le soleil s’attarde après minuit.

Partout il règne un air d’aurore boréale.

Les motifs de la nappe, du vase et du papier peint
tournent autour de la table invisible
comme s’ils jouaient aux quatre coins

Dans une sarabande qui charme même les défunts.

Que quelque dizaines de centimètres carré de papier japonais
marouflé sur de la toile
et que des pigments en poudre dilués dans de la colle
suffisent à dire tant de choses,
c’est un mystère que les trouvailles technologiques
pourront à l’infini reproduire sans jamais l’égaler.

C’est ce mystère millénaire, la peinture.

Nos yeux viennent y butiner, attirés comme les abeilles
par le pollen des fleurs.

La peinture de Mariko dispense, même aux plus miséreux d’entre-nous

Vaisselle d’or et d’argent, étoffes précieuses.

Elle nous fait princes et princesses,

Invitant au pays dont personne ne chasse personne,
au festin dont on ne se lasse jamais.


Mariko, par Gilbert Soussen

Mariko, pénétrée de Savoir japonais, Initiée au noble art de la calligraphie, Etait apparemment vouée à perpétuer L’antique tradition de sa mère patrie…

Mais un feu intérieur qui couvait au fond d’elle

Lui a fait dire : « Non ! Ce sort n’est pas le mien :

Je veux partir avec le vol des hirondelles

Je veux connaître ailleurs un tout autre destin ».

C’est ce qui l’amena dans le pays de France aux racines de l’Art, au sein de la grandeur Mais aussi dans le fond des intimes souffrances Qu’elle comprit sans mal et changea en ferveur.

Car elle porte en elle un altruisme inné Et une paix de l’âme héritée de Bouddha Ce que Paris lui donne elle sait l’affiner Et c’est avec son cœur qu’elle le lui rendra.

Du grand art japonais, elle a gardé en elle Les formes épurées, l’élégance du trait La vibration ténue d’un vol de tourterelle La rosée diluée des petits matins frais.

Paysages lointains, aux bords évanescents Où les idéogrammes ainsi qu’une pluie fine Tombent du haut du ciel, tout débordant de sens, Transformant le magma en conscience divine..

Mais à côté de ce reflet d’extrême Orient Mariko nous fascine avec un autre monde Nouveau pour elle mais, vécu intensément, Enivré de soleil et de chaleur profonde

Une lumière crue, un dessin qui burine Des couleurs accusées où domine le bleu-Apport de l’Occident, au peintre qu’illumine La richesse de vivre, à plein, le « double je ».

Les confidences de Mariko :

Quand je suis sortie du monde où je vivais J’ai trouvé ma véritable identité Elle n’est pas très différente de la première : Elle est seulement enrichie…

Gilbert Soussen. 2006.


Mariko, par la Maison-Atelier Fujita

Exposition de Mariko Assaï à la Maison-atelier Foujita.

Mariko Assaï, artiste japonaise, vit et travaille en France depuis 1985. Cette double appartenance nourrit une œuvre singulière, qui, par certains aspects, renvoie à l’œuvre de Foujita.

Peintre et professeur de calligraphie, donne naissance à des «mirages poétiques», dans des tableaux délicats à la légèreté aérienne. Elle crée des mondes de couleurs transparents, pleins d’émotions et de nuances.

L’artiste juxtapose des signes empruntés à la calligraphie, des plages de peinture abstraite et des éléments figuratifs. Ici, des idéogrammes deviennent dômes, coupoles, se transforment en ferronneries de balcon ou hanches de violoncelles. Ailleurs, les éléments figuratifs prennent de la densité pour former des villes sortant de la brume, des dunes où dansent des roseaux et des algues… Parfois, les formes qui apparaissent, ne se nomment pas et la vision s’égare dans la fluidité d’une comète et de sa traînée…  Dans l’informel naissent des paysages dont on ne peut dire à quel monde ils appartiennent, suspendus entre ciel et terre, entre rêve et réalité. Ces éléments qui semblent fusionner dans l’air, nous renvoient à une appréhension différente du cosmos, qui n’est pas étrangère aux influences que le bouddhisme exerce sur le peintre.

Les œuvres de Mariko Assaï sont des passerelles entre tradition et modernisme, entre abstraction et figuration ; elles oscillent entre orient et occident, en situation d’échanges et d’enrichissements réciproques. En cela aussi, elles s’inscrivent dans un jeu de miroir par rapport à l’œuvre de Foujita.


Mariko, par Albert Liévin

Nouveau-nés dans le jardin des arts

Dès le premier coup d’oeil sur un tableau d’ASSAI, deux noms viennent spontanément aux lèvres : Picasso et Matisse. Rien de moins ? Rien de moins. Le passage de cette jeune femme japonaise à l’école des Beaux-Arts de Musashino à Tokyo l’aurait-elle marquée d’une empreinte indélébile, à la fois moderniste et classique ? Pas du tout. Mais on dirait qu’elle les retrouve, comme malgrè elle, même lorsqu’elle est aussi loin que possible de vouloir les imiter.

D’ailleurs, quel Picasso ?

              – Le Picasso dont les visages ont l’ovale pur des masques, et les corps, la découpe robuste des sculptures d’Afrique.

Et quel Matisse ?

              – Le Matisse attentif aux motifs d’une robe, aux arabesques en fer forgé du balcon, à la découpe insolente de la lumière dans le rectangle de la fenêtre, et généralement parlant, tout le Matisse des papiers découpés.

Pourquoi Mariko est-elle venue à Paris, à une époque où, au Japon comme partout ailleurs, on disait Paris mort et New-York en pleine vie ?

              – Parce que je me demandais ce que des gens comme Foujita, comme l’espagnol Picasso, ou comme le romancier américain F. Scott Fitzgerald – héros que j’admirais – avaient bien pu voir dans cette ville d’assez captivant pour leur donner envie d’y vivre, et certains pour longtemps.

Maintenant j’ai compris : c’est parce que le monde entier s’est donné rendez-vous à Paris. En ce sens Paris est bien différent du Japon, d’où le reste du monde semble si lointain. Paris est un creuset où des gens venus de toutes les parties du monde se retrouvent pour créer une culture nouvelle… »

Le thème récent de Mariko est son bébé. L’accouchement d’un bébé (ce mystérieux travail des femmes qui ne peut que susciter l’admiration sans fin des hommes, totalement incapables d’accomplir un tel miracle) n’a pas aboli chez elle la capacité d’accoucher aussi d’oeuvres d’art. Et à peine son bébé né, elle s’est remise à peindre, en le prenant pour modèle.

Pour cela il lui a souvent fallu attendre que l’enfant dorme, et que s’apaise cette constante volonté de boire, de manger, d’être bercé et dorloté que certaines mères, même les plus aimantes, finissent par ressentir comme une menace à leur intégrité. Cette récolte de tableaux porte donc la trace omniprésente de son nouveau-né. Une fois encore les assoiffés de référence parleront de Matisse et Picasso. Pour ma part je parlerais plutôt de Patisse et de Micasso, vue la sauce à laquelle Mariko les mange.

Ce qui réapparaît surtout, c’est l’acquis de quinze ans de calligraphie japonaise à l’école de de maître Maeda, une femme actuellement agée de 85 ans, dont les cours ont permis à Mariko d’obtenir pas moins de quinze prix de calligraphie d’art à Tokyo. Et c’est  d’un autre maître des arts plastiques, le peintre Shoïchi Hasegawa (installé depuis plus de trente ans  en France et artiste reconnu de l’Ecole de Paris) qu’elle a appris la technique de la peinture traditionnelle japonaise, avec colle et pigments.

– La peinture occidentale est construite, alors que la peinture orientale est intuitive  » dit encore ASSAI. Si l’on en croit cette définition, alors, elle n’a jamais quitté l’Orient. Ou plutôt son travail, fruit du fertile mariage entre inspiration moderne et technique traditionnelle, trouve d’emblée sa place sur les murs d’un château de rêve, construit par l’admiration que, depuis plus d’un siècle, les artistes des deux continents de vouent mutuellement.

Les idéogrammes de l’écriture chinoise étaient à l’origine des images. Ce sont des images abstractisées auxquelles la calligraphie rend parfois leur substance figurative. Le trait qui sert à tracer le mot « arbre » peut retrouver l’épaisseur rugueuse d’un tronc, et les lignes du caractère « femme » peuvent coïncider avec la courbe gracieuse des bras croisés sous la poitrine, comme pour porter un bébé.

ASSAI est loin d’avoir épuisé les ressources d’une telle résurrection des signes, capables de redevenir portraits ou paysages. Mais dans les fonds de certains de ses tableaux on voit déjà affleurer des signes, comme des ombres derrière la vitre embuée, comme des âmes pressées de renaître pour venir jouer avec l’infant joufflu, solidement campé au cœur de la toile ou allongé sur elle, les yeux clos, rêvant dans la cité endormie, sous la caresse du regard de ses parents.

Albert Liévin